Gladiateur noir, bête des arènes
Théâtre pour une mort annoncée,
À l'homme les lauriers
Et toi de mordre la poussière...
Tu sens venir le vent
Hésitant à rentrer sur scène
Acteur sans le vouloir d'une tragédie...
Tes coups de corne
Les esquiver tout un art
Du lutteur
En habit de lumière
Agitant cape rubis
T'invitant à recommencer l'assaut...
Et tu t'échines taureau d'ébène
À revenir à la charge
Sabot frappant le sol
Tête baissée, naseau fumant
Bave à la gueule, encore et encore...
Bête de combat
un combat perdu d'avance
sous les olé
Dans les gradins
La curiosité malsaine
A payé son billet
Pour voir couler le sang
Ce sang, rouge rubis comme la cape
Qui dissimule si bien le glaive...
Épuisé dans le courage
Par l'adversaire en cravate de soie
Sous l'estocade portée
La bête batailleuse s'écroule sous les ovations,
Dernier mot à l'épée
Transperçant du condamné le crâne...
Nobles arènes
abattoir à ciel ouvert
sous les bravos.
Derrière la porte
l’arène de sa dernière
chance -
un ange passe
Ce sera bientôt son tour,
il piaffe d’impatience. Dès le signal il foncera vers demain. En entrant dans
l’arène, il ouvrira toutes les vannes des possibles. Il doit attendre. Le gong
n’a pas encore retenti.
Minuit sonnera
sa première seconde
l’an s’impatiente
Jamais le temps ne prendra
le temps de s’arrêter. Pour toujours le tempo est enregistré. « Rien ne
sert de courir, il faut partir à point ».
L’accident.
Il voulait à tout
Prix faire entrer la statue
Dans le coffret blanc
Il en avait décidé ainsi,
et il la rentrerait. Quitte à lui briser les cornes.
Cornes brisées. Il le
voulait. Et c’est ainsi qu’il lui brisa
Le cœur.
C’était un adieu
Que trop tard elle comprit
Papier kraft ôté
L’animal apparut, pauvre,
petit, chétif, tremblant, sur ses pattes encore malhabile, tout habillé de
noir, les cornes retournées
En dedans.
Mal au cœur.
En pleurs
Son univers chavira
Non pas ça crie-t-elle
Son cri se heurta au vide
de l’espace.
Son ami ne sculpterait
plus. Elle le comprit soudain
et mit plus de trente ans
pour enfin l’accepter.
Hier sur les gradins
Mon cœur de battre refusait
Les yeux j’ai fermés
A peine revenue
De la frontière du cauchemar
Je voulais vous offrir en urgence
Ce souvenir dans sa brume
Une trace de son appréhension
L’ondoiement de son ombre
Le flou de ses yeux ensorcelants
L’énergie de ses naseaux
L’indompté de ses cornes.
Le sténopé de ma mémoire
Vous offre aujourd’hui sa force et sa beauté
Brouillées par mes larmes
Ma mémoire a essayé d’enregistrer
L’hésitation de la bête en mouvement
Mon souvenir s’efforce à garder
Ce que l’affolement a imprimé
Comme distorsion à son corps
Plutôt que la vélocité de cette bête en furie.
Rapidité tourbillon fuite
Mort dans l’âme
Tout va s’estomper comme un pastel
Dans un nuage de poussière
Je voulais avant qu’il ne soit trop tard
Prendre mes distances
Avec cette force indomptée
Et ne pas m’effondrer
Hier dans l’arène
Fier il a rendu l’âme
Le taureau est mort.
L'air immobile et
poisseux pèse de tout son poids sur la prairie somnolente. Au loin, un tracteur
poussif halète de fatigue. Sous l'ombre chiche du grand pin quelques
vaches ruminent paisiblement.
Soleil crépitant-
A l'heure de la sieste
Fourmis au travail
Son museau tendu vers le
ciel, un petit veau suit des yeux avec envie le ballet joyeux des
martinets. Il s'ennuie et rêve de courses , de bruit, de vie trépidante.
Feu solaire-
Rodéo des mouches
Celui d'un petit veau
Il a laissé traîner ses
oreilles et surpris les confidences de sa grand-mère un soir où elle le croyait
endormi. Elle racontait les exploits d'un sien cousin, taureau de combat. Une
vedette en son temps triomphant dans les grandes arènes d'Espagne. Ah comme ce
devait être excitant toute cette gloire! Dommage qu'il se soit endormi avant la
fin de l'histoire.
L'enfance naïve
Joue aux papillons
O temps suspend ton vol
La bête puissante a compris.
L'odeur de la peur et de la mort mêlées imprègne tant les murs du toril qu'elle se transmet de bête à bête, par delà le temps, sans qu'elles se soient connues dans un autre lieu.
Élevée pour ces uniques instants de liesse.
Elle y est tellement résignée que les picadors, tout à l'heure, devront la titiller avec acharnement pour la faire sortir de sa léthargie.
A quoi bon faire semblant ?
c'est la "tarde de toros"
Le soir de l'offrande au jeu terrible de la mise à mort. Si le taureau n'entre pas dans le jeu, qui canalisera la foule avide de spectacle ?
La bête résignée
convoque Cybèle et Mithra
et la déraison.
©Jeanne Fadosi, lundi 6 janvier 2020
Les belles étrangères, Jean Ferrat
El
toro y la muerte
Taureau
furieux,
Ombre
fantôme
Qui
jadis hanta l’arène !
Certains
jours de grande chaleur, dans le flottement liquoreux d’un air instable,
apparaissent tes cornes - : en transparence sur le blanc des portes du
toril…
Taureau
écumant
Qui
bouillonne de rage
Quand
à la mort, il fit face !
Ils
te narguent les picadors sur leurs chevaux en caparaçon, les matadors en habit
de sinistre lumière.
Capote,
piques et banderilles toutes t’excitent de leur mouvement hiératique, de leur
traîtrise blessante, jusque-là même : au cœur de la fournaise : à la
racine même de ta sourde colère.
Ils
te voient - les fous ! -
Comme
simple bête,
Quand
c’est un Dieu qui fait face !
Tu
t’avances vers l’infini ! Par cette porte d’honneur où ta mort n’est qu’un
passage. C’est leur nuit qu’ils ignorent quand ils te disent porté par le feu,
la tempête et quelque violence.
Tu
n’es que nature
Face
au torero
Il
jabote le fol, mais te craint !
Tu renvoies dos à dos à leur peu de courage, à leur
violence, ou leur soif de carnage, les toristas*, les toreristas*, ou les
curieux et obscurs turistas*.
Toi, tu avances - fier, fort, et la corne haute- vers la muta
qui flotte – sordide traîtresse au bras qui porte la passe, et qui cache l’épée
au baiser mortel. Tu sors de l’ombre et va vers ta lumière.
Du si vil boucher,
De la bête qu’il tue,
Qui donc a le plus d’honneur !
*Torista : Spectateur
essentiellement attiré par le spectacle du taureau
*Torerista :
Spectateur essentiellement attiré par le spectacle du toréador
*Turista :
public de corrida occasionnel ou étranger
* Passe :
action d'appeler le taureau sur un leurre, capote ou muleta, de le faire courir
et passer le long de son corps
* toril :
stalle, local où le taureau est confiné avant qu’il n’entre dans l’arène
Serge De La Torre
Une
ombre en devenir
Dans
le cercle de l’arène, derrière une palissade, la solitude poisse la terre qui
accompagne les entrées et fuse au-delà de l’ombre.
Deux
cornes pointues
le
taureau se prépare-
une
ombre en devenir
Tout
ici semble vouloir l’effacer. À peine une esquisse de vie, apparition sur un écran
d’au-delà.
Pas
de surprise
une
issue bien définie
et
c’est la mort
Fascination
du sang non encore déversé, et dont la foule crie sa soif. Extase des voix glorifiant la torture.
la
bête humaine
exhale
son odeur
c’est
à vomir
Bientôt,
genoux en terre, les flancs gluants de rouge, les nasaux écumants, plus noble
que jamais, il s’inclinera, vaincu par la bêtise.
Somptueux
taureau
quand
ton regard s’éteint
à
quoi penses-tu ?
Bonsoir l'Herbier, je ne sais si c'est une mort glorieuse que celle de périr dans les arènes, plutôt qu'en abattoir, mais elle a su séduire les plumes… merci, au plaisir, JB
RépondreSupprimerBonjour Adamante, ainsi qu'à tous les brins!
RépondreSupprimerQuelle belle page! Comme toujours! La finesse de l’œuvre alliée à sa force était très inspirante.
Bravo à tout le monde
Comme vous en parlez bien de cette arène, de ce taureau et de ces picadors que je n'ai jamais voulu voir... Il me suffit de vous lire pour savoir que je ne changerai pas d'avis. Quelle intensité dans tous vos textes !!!
RépondreSupprimerComme Martine, je préfère regarder le petit veau qui s'endort en écoutant les contes de sa grand-mère !!!!!!!!
Magnifique page !
Je veux aujourd'hui simplement relever quelques phrases qui parmi toutes" m'ont touchées le plus:
RépondreSupprimer"Gladiateur noir, bête des arènes"
"Et tu t'échines taureau d'ébène
À revenir à la charge"
"Hier sur les gradins
Mon cœur de battre refusait"
"L’énergie de ses naseaux
L’indompté de ses cornes"
"Hier dans l’arène,
Fier, il a rendu l’âme:
Le taureau est mort." (J'ai rajouté une ponctuation qui n'existe pas: pour mieux partager comment je lis ces vers.
"...Cornes brisées. Il le voulait. Et c’est ainsi qu’il lui brisa
Le cœur...."
"la cape qui dissimule si bien le glaive"
"Jamais le temps ne prendra le temps de s’arrêter.
Pour toujours le tempo est enregistré...".
"L'air immobile et poisseux pèse de tout son poids"
"Il s'ennuie et rêve de courses , de bruit, de vie trépidante"
"Feu solaire-
Rodéo des mouches
Celui d'un petit veau"
"L'odeur de la peur et de la mort mêlées imprègne tant les murs du toril qu'elle se transmet de bête à bête..."
"La bête résignée
convoque Cybèle et Mithra
et la déraison."
"Dans le cercle de l’arène, derrière une palissade, la solitude poisse la terre qui accompagne les entrées"
"apparition sur un écran d’au-delà"
"Pas de surprise
une issue bien définie"
"...Extase des voix glorifiant la torture.
la bête humaine
exhale son odeur
c’est à vomir..."
"Somptueux taureau
quand ton regard s’éteint
à quoi penses-tu ?"
Merci à chacune, des brins d'or dans un bouquet de poésies"
ABC, je n'ai jamais les pieds dans une arène non plus. J'aurais pu si j'avais accepté une invitation mais je ne regrette pas ma décision. De très beaux textes en effet qui se complètent. Qui disent l'inacceptable bien au-delà de la tauromachie. Et merci à Serge pour sa "revue", son texte percutant et de m'avoir fait réfléchir différemment au mot "touriste".
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