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lundi 6 mars 2023

La page 221 raconte

 

Acrylique Adamante -Tiré du livre le Faiseur d'Accueil
Prix Jules Supervielle 2022 de la Société des Poètes Français.




Toc toc toc



Au clair de la lune

Mon amie Pierrette

Prête-moi ta plume

Pour écrire un mot


Ici c'est la mère Michel

Qui a perdu son chat

Allez sonner chez la voisine

Vous vous trompez d'histoire


Me voilà tout chiffonné

Lui crie Pierrot

Pourriez-vous toutefois

M'éclairer de votre chandelle

Par votre fenêtre

On n'y voit goutte

Dans cette ruelle de nuit

Soyez bon prince, allez 


Je veux bien

Vous être charmante

Mais de m'avoir tirée du lit

Vous me devez un baiser



D'un sac à pain

faire une toile récréative

pas son beurre



jill bill










Il était une fois...


 

Il était une fois… c’est ainsi, en général,  que grand-mère commence son récit.  Elle en a plein son sac à souvenirs.  Invariablement , assis bien sagement autour d’elle, nous attendons cette introduction riche de promesses.

– Il était une fois une jeune fille, assise sur le siège en pierre de la plus monumentale cheminée que vous ne verrez jamais.

– Elle était grande comment cette cheminée, dis, Mamie?

– Grande comme… comme une énooorme bouche d’ogre!  Pensez! On pouvait y déposer un tronc d’arbre entier!

– oooooh!

– Ah, c’est vrai que j’ai oublié de vous préciser que la jeune fille habitait un château.  Je continue.  Voyons, où en étais-je? Ah oui! La jeune demoiselle assise près du feu était transie de froid, certes, mais aussi d’inquiétude… Son père, son frère ainé, ainsi que tous les chevaliers n’étaient toujours pas rentrés de leur expédition punitive. La nuit était tombée. Les plaintes du vent descendaient du conduit de fumée comme pour mieux glacer son âme.  Tourmentée, la pauvrette, l’esprit absent,  fixait les flammes vives. Celles-ci  dansaient de joie soudainement ravivées par le souffle  d’Éole rugissant tout là-haut. Elles montaient, s’étiraient léchant le contre-cœur*. L’étrange chorégraphie s’éloignait, revenait, puis s’écartait à nouveau  abandonnant à chaque fois toujours plus d’escarbilles. Éléonore finit par remarquer l’étrange manège du feu. Les étincelles demeuraient fixées, de plus en plus nombreuses. Quelle diablerie était-ce là?  Inconsciemment, elle se penchait en avant fascinée par le phénomène. Peu à peu, un visage  incandescent  apparut. Son expression était d’une tristesse infinie. Homme ou femme? Éléonore aurait été bien en peine de le dire. Soudain! Vociférations, rires et martellement martial d’un groupe d’hommes. Enfin! Les voici de retour! La jeune fille,  heureusement distraite,  se tourna vers l’entrée de la  vaste salle. Son père était là, puissant et rassurant avec sans doute un récit de bataille à conter. Mais, cette fois, elle aussi avait quelque chose à raconter, à montrer, se dit-elle  en jetant un coup d’œil à la plaque de la cheminée. Effarée et déçue, elle découvrit que l’étrange portrait avait disparu.

.

À la chandelle-

L’auditoire sous le charme

Ronflements du chien

.

* Contre-cœur: il s’agit de la plaque en fonte protégeant le mur du fond de l’âtre



Martine MADELAINE-RICHARD



 




Babouchka :

 

 

C’était bien elle la babouchka de mes rêves qui, chaque soir éclairant mon lit d’une simple bougie, me contait les légendes de chez nous. Je la voyais ronde et légère dans un nuage de sable brun. De sa douce voix, semblable à celle de ma grand-mère, elle soulageait ma peine et mes cauchemars.


nuages de sable

sur la maison endormie –

babouchka conte

 

Mon esprit voguait d’une région à l’autre à la recherche de mon ancêtre. Me laissant porter par la musique des mots je sombrais dans un profond sommeil. Chaque matin, en ouvrant les paupières, j’espérais toujours la voir assise près de mon lit. Invariablement, elle avait disparu…

 

sommeil d’enfant

au plus profond de ses rêves

son esprit s’apaise

 

Adulte, je me souviens d’elle, fruit de mon imagination pour ne pas pleurer, tous les soirs, la mort de ma grand-mère.

 

Mamie n’est plus

son absence trop pesante

-       babouchka contait

 

ABC

 






Nuit d'Orage




Augustine s'est couchée de bonne heure alors que le vent soufflait autour de la maison. La nuit seule chez elle, le moindre bruit l'effraie... Elle se réveille, ensuite elle ne peut plus se rendormir.

Ce soir, la tempête se renforce, elle s'angoisse...

Elle appuie sur l'interrupteur mais il n'y a pas d'électricité.


«Où donc est passé ma bougie, je cherche dans le tiroir de ma table de nuit, à tâtons, quelle galère, pourquoi entasses-t-on tant de trucs inutiles!» . Après avoir fait tomber deux ou trois objets je trouve enfin une bougie et des allumettes .



Bonté divine

le compteur a du disjoncter

je descend l'escalier



Derrière la porte j'entends le chat miaule, il veut rentrer, tout se ligue contre moi!

C'est bien le moment de faire des courants d'airs! Foi d'Augustine méfions nous des chats, ils font alliance avec les mauvais esprits, c'est ce que dit ma voisine...


Sacré chat noir

on devrait toujours se méfier

des stratagèmes félins



Allez savoir si une mauvaise personne ne se serait pas cachée dans le cellier pendant que j'étais au jardin... J'ai une peur bleue. Si on m'égorge personne ne viendra à mon secours...

J'appuie sur le bouton du compteur, ouf ... et la lumière fût!


Je me sens rassurée

calmant ou verre de Fine

qu'est ce que je prend?



©marine Dussarrat

                                                        








Au clair de la lune


 

Il n'avait pas besoin du briquet de la voisine, il vivait avec sa colombine. Un soir par semaine, ils allaient danser au son de la vielle quelques quadrille et rigaudon et autres gigouillettes. Il m'est arrivé de les accompagner. De danses en contes, ils en étaient venus à renouer avec les veillées d'antan. De ce temps déjà lointain qui n'était pas rythmé par les programmes télévisés, bientôt enrichis de travaux d'aiguille.


Quelques bûches dans l'âtre,

le soir des  danses et des contes

Pierrot souviens t'en !


Une chandelle pour la  veillée

toi en blaude, elle en pierrot*.


©Jeanne Fadosi, jeudi 2 mars 2023

pour la page 221 de l'Herbier de poésies


*Le "Pierrot", coiffe typique normande portée par les jeunes mariées  à la fin du XVIIIe siècle, début du XIXe siècle. (France 3 Normandie)

source 

 

Le groupe normand "Les Pierrots" parmi les dix troupes du grand concours de la meilleure danse folklorique (francetvinfo.fr)


pour illustrer

Domfront 2017, fête du folklore normand - YouTube









Chère mamie

 

 

Il me suffit d'ouvrir la porte de ta demeure, de raviver les flammes à l'âcre fumet du chêne et me voilà plongée

avec délices dans nos fabuleux voyages qui m'emportaient le soir, si loin à la veillée.

Cette douce chaleur enveloppait mon enfance de contes et de légendes, d'histoires de terroir, de nos rires partagés,

de toute ta tendresse.


Histoires colorées

au bon goût d'occitan

tes mains mimaient la vie


Ta voix berçait les soirs, un baume apaisant pour la petite fille si loin de ses parents.

Notre récréation, cette litanie de mots, de gestes aiguisaient toute ma curiosité

m'offrant un autre monde.

J'ai connu des bergers, les seigneurs du château, le vieux sorcier aimable, des grottes et des rivières, 

des fontaines magiques, des arbres séculaires, des fêtes de village, des animaux doués, même le 

croque mitaine que j'avais oublié.


Le feu crépite

Les mots effacent les peurs

J' engrange ces souvenirs


Chère mamie, ce lien indestructible, ce cadeau de la vie qui inonde mes yeux conserve précieusement

toutes les belles pages d'une enfance dorlotée, toute ma passion des livres, de la nature, de la poésie,

de ces instants exquis que nous offre la vie.

 

Balaline -02/03/2023











Grand-Mi

 

 

    Le feu crépite dans la cheminée. Son souffle accompagne les murmures de la nuit qui parcourent les ombres environnant la campagne. 

    Dans la vieille maison, tandis que les langues de l’enfer s’agitent sur les bûches, balayée par les lueurs de l’âtre, la vieille pendule semble sommeiller tandis que l’assistance attend religieusement dans la pénombre que Grand-Mi se décide à parler. Tous les regards sont tournés vers Elle, conteuse et doyenne du village. Ici on dit d’Elle que c’est « Celle qui sait » et on la respecte. Elle n’oublie pas Grand-Mi. Elle n’oublie jamais. Ce qui s’est passé avant, ce que lui ont raconté ses grands-parents qui le tenaient eux-mêmes de leurs ancêtres, elle en est la précieuse récipiendaire. 

    On appelle ça la transmission orale, car au temps des contes, un temps qui remonte à fort loin, ceux du pays ne connaissaient le papier que pour les choses de bien, chez le notaire. Les bibliothèques, c’était pour les riches, pour ceux qui pouvaient envoyer leurs enfants à l’école. Chez eux l’histoire c’était dans la tête qu’elle se conservait, et c’était par le dit qu’elle se transmettait, pas par l’écrit. À chaque génération, c’était à celui qui mémorisait le mieux et qui avait le don de dire que revenait le titre de conteur. 

    Certes, ceux qui reprenaient le flambeau l’enjolivaient un peu l’histoire quand c’était une histoire d’amour, ou ils la rendaient encore plus redoutable quand elle parlait de bandits de grands chemins ou des Dames blanches qui entraînaient les fêtards avinés dans des limbes d’où ils ne revenaient jamais. Il fallait bien que chacun y mette un peu du sien pour se l’approprier. Mais les histoires poursuivaient leur chemin d’aïeule en aïeule, c’est ainsi qu’elles étaient arrivées jusqu’à Grand-Mi et jusqu’à nous. 

    « Ouvrez grands vos oreilles tous, et vous aussi les petits car demain c’est vous qui serez en charge de dire et de transmettre. Tant que vous vous souviendrez le pays vivra, oubliez, et il mourra. Mais avec sa mort c’est une part de vous qui disparaîtra, car sachez-le, rien ne peut vivre sans racines »


racine coupée

la tête ploie le corps chute

la flamme s’éteint


malédiction de l’oubli

sans passé pas d’avenir


Sur mon blog, je vous invite à découvrir la photo de la page concernée par l'image. 

Adamante Donsimoni – 4 mars 2023





 

vendredi 23 février 2018

Un arbre, la neige, la page 101, des contes

Photo jean jacques Neste (les amis de la Creuse) Merci à lui




Jardin invisible

Dans la nuit, en catimini, mademoiselle Neige s'est unie à monsieur Brouillard au pied de l'arbre à palabres bien étonné du décor dans lequel il s'éveille aux lueurs du matin et s'ébroue au vent léger.

Il pleure en dentelles
sur la page nue et glacée
sentinelle sombre.

De loin au bord de ses marches, Heidi* cherche le lac des cygnes. Les pas semblent aller vers la rive, la devinant dans les plis de sa mémoire. Elle frissonne pour le cygne noir.

L'arbre dénudé
se révèle deux frères siamois
dans leur blanc royaume.

Dans la nuit, en catimini, Dame Neige et Sieur Brouillard ont gommé le paysage, mariant à l'unisson La Terre et Le ciel. Heidi, le ventre content, a sorti ses mitaines, son carnet de croquis et ses pastels. Oh qu'elle aimerait capturer sur ses feuilles le scintillement du givre vibrant dans la lumière blême.

Le silence règne
sur son jardin invisible
jusqu'à l'infini.

Là, "tout est calme et volupté", l'anti-chambre du paradis. Elle ne sent pas la morsure du froid, bien emmitouflée par son pépé, aguerrie à ces températures dans ses montagnes familières.

Comment détester
cette immensité joyeuse,
laideur effacée ?

Elle n'a jamais su, elle ne saura plus, pourquoi son amie détestait avec vigueur tout ce qui évoquait des paysages de neige, même sublimes, même nés sous les pinceaux de leurs peintres préférés.

Le crayon croque les branches,
Heidi songe à son amie.

©Jeanne Fadosi, mercredi 21 février 2018






Fausse solitude
soudés par les racines
être deux

Au plus secret de l’hiver, dans le silence désertique de la lande enneigée, la tête haute, fiers, seuls et solidaires. Vie rude d’un couple qui s’épaule en se serrant les coudes.

Au fil des ans
tous partis vers la ville
leur point d’ancrage

Ils sont nés, ici. Ils ont grandi, ici. Ils se sont connus, ici. Ils se sont mariés, ici. Ils ont construit leur famille, ici. Ils restent les derniers, ici. Ils résistent autant qu’ils aiment la vie, ici.

Leur vie s’essouffle
Ils tiennent toujours debout
tombe la neige

Rien ne les effraie. A la force de leur union, ils avancent d’une saison à l’autre. Leur hiver vient de sonner. La faucheuse peut passer, à force de semer, ils ont engrangé.

Quatre saisons
avant l’ultime au revoir
transmettre l’héritage

Le vent et les tempêtes ont eu raison d’eux-mêmes. Le courage et l’amour a raison du futur. A l’aube de la quatrième génération, entre télétravail et biodiversité, deux jeunes pousses, à la vigueur des racines familiales, assureront l’avenir.

Le printemps s’annonce
ils partent en paix
belle fécondité


©ABC








Neige


La neige est tombée
Sur le plateau embrumé
La nuit se dissipe
Un arbre nu lance
Ses bras au ciel
Cœur battant dans le froid
La raison achoppe
Tout est espoir ouaté
Sous la buée des aubes
Tout est amour chancelant
Il ne faut sutout pas croire
Aux noirceurs du monde
L'instant seul est précieux
Vérité dans les couloirs
Hasardeux et tranchants
De nos vies infimes
La vibration du jour
Nous fait cocon

©Marine D







Solitude

Une longue peau de soie, nacrée, immense de solitude. 
Ses pas de coton blanc mènent droit au jardin de l'oubli.

L'enfant aux cheveux noirs
poussé trop vite
étonné du silence

L'espace nu, engourdi au réveil, surpris de tant d'innocence. Et les notes figées, le matin blême, la lumière diluée où l'horizon s' estompe.
Un voile s' est posé, une paix retrouvée, des souvenirs d'enfance y glissent sur la place.

Les longs bras conquérants
dessinés à la plume
Lui, un phare sur la plaine

C'est le temps du frisson, d'un aller vers le pur, du grand pardon du ciel. La terre a blanchi cette nuit, candide, mère aimante, gardienne des premiers émois, des premiers cris, des premiers pleurs.
Des années de blessures gommées sous l'étoupe des nuages... un semblant de pardon, une imposture ?

Balaline






Arbre

Les pas qui t'effleurent ne sont pas ceux que tu crois
Laisse-toi approcher, laisse-toi regarder, laisse-toi aimer
L'hiver ne viendra pas au bout de toi
Toi qui croît malgré le froid
Ces pas dans la neige crois-moi sont ceux du silence
Un silence qui chaque jour 
De tes racines jusqu'à la cime de la plus haute de tes branches
Fait de ta sève le sang de vie.
Arbre, la neige a dessiné autour de toi le lieu de ton repos
Cette lumière qui respire à travers ce blanc couvre-lit
Ne peut que t'aider à t'aimer
Ne peut que nous aider à aimer.

©jamadrou © 18 février 18  (À fleur d'image)






Billet d’humeur -La neige en altitude

Il a neigé hier par chez nous, de gros (puis moins) flocons, du matin au soir. Dit comme ça, si j’étais en plaine ou au bord de la mer, ce serait un événement… exceptionnel.
Mais j’habite à Saint-Etienne qui est , « après Madrid et Sofia, Saint-Étienne est l'une des plus grandes villes d'altitude d'Europe (env. 170 000 hab. à plus de 480 m d'altitude6,7). La ville est très vallonnée et la tradition locale lui attribue sept collines8 comme Rome, Nîmes, Besançon, Lisbonne, Yaoundé et Bergen[1]. »
J’habite personnellement sur une de ces collines et hier midi, le bus qui nous dessert ne montait plus la colline et laissait ses passagers au bas de la colline.   
Bref, hier, il neigeait dans une ville d’altitude située entre le massif du Pilat et le Massif central. Bref, rien de rare par chez nous.
Personnellement, je ne suis pas très neige. J’aime le paysage enneigé  que je trouve beau mais je ne skie pas. J’aime la regarder tomber de chez moi mais si je peux éviter de me mouiller et de me geler… Ceci dit, comme c’est plus que probable (et souvent annoncé) qu’il neige entre octobre et mars, on met des pneus adéquats, on évite qu’ils soient lisses. Si on ne peut faire coucher sa voiture à l’abri (comme nous), on sort un peu plus tôt et on déneige sa voiture. De toute manière, on se lève un peu plus tôt au cas où les routes ou rues soient un peu délicates. Puis, on s’éclaire si nécessaire et on roule prudemment.
Ça, c’est la théorie, celle du code de la route et du bon sens. Eh bien, hier, une personne sur deux n’était pas éclairée et la même moitié des automobilistes roulaient comme des fous… comme sur du sec.
Sortie de la voiture, chaussée de bottes adéquates, je marche prudemment car je crains les glissages et les chutes mais la neige tombait sur un sol chaud (deux jours avant, nous mangions dehors le midi) et la neige a mis du temps à tenir un tant peu au sol  avant de se transformer en gadoue[2] sous l’effet de la pluie. Bon, je ne vais pas vous dire que c’est agréable de se mouiller les pieds, la tête et le manteau et de goutter de partout en rentrant à la maison. Mais bon, c’est quelques jours par an, non ?
Eh bien, non, les parents de nos élèves appelaient mon lycée (comme à chaque événement neigeux) pour qu’on arrête les cours vite pour qu’eux et leurs enfants ne soient pas bloqués sur la route. Quant aux collègues, ils espéraient bien sûr la même chose.
Moi-même, c’est un temps où j’aime rester sous la couette mais bon, on ne fait pas toujours ce qu’on veut, on s’adapte, on sourit et on reste poli, non ?


  
©Laura VANEL-COYTTE
http:://wwww.lauravanel-coytte.com




Halide ou Deux bouleaux sur un plateau des Monts Aladaglar

« L’horizon commence à leurs pieds,
Et rien ne le limite plus.
Neige et ciel conjuguent
En un arbre unique,
Leur ultime union. »

Elle vécut dix ans sous la tente maternelle, dix ans à jouer librement parmi ses frères, sœurs, cousins, cousines et enfants de voisins. On était pauvres dans ce village d’Anatolie, mais si riches de rires et du temps qui va sans fin.
Sa mère la nommait Halide, ce qui veut dire l’Éternelle.
Son père, lui, ne rêvait que d’honneurs et de fortune. Lorsque, souvent, lui venait une colère, il jurait: c’est Aslye ( la Rebelle) qu’il eut fallu t’appeler ! Halide riait et faisait même rire sa mère.
Il lui trouvait ce père, - peut-on comprendre pourquoi ? -  quelque frondeuse tendance.
Un jour, il l’emmena, au loin, après Sandikli, où s’ouvrent, infiniment grandes, les Portes du Sable, d’insondables déserts de pierres, d’eau bleu, de sable et de sel :

Là, l’horizon commence à tes pieds
Et rien ne limite ton regard.
Sable et ciel conjuguent chacun à leur manière
L’ardeur éperdue d’un soleil pur.

Son père lui dit alors :
« Lorsque te viendront les signes qui te feront femme, je te marierai à un homme riche, venu d’au-delà d’ici. Il est riche de bêtes et de biens. Je t’ai promise depuis longtemps, tu seras sa perle de jeunesse et ainsi, l’honneur de ta famille. »

Pendant cinq ans Halide se souviendrait de cette étendue brûlante, sans commencement ni fin ;  où s’était mêlée son âme comme la fumée le fait au vent. Béni soit son père !
 Du désert lui viendrait un cœur chaud comme l’eau et le ciel de Sandikli, un cœur où se fondre, un esprit large où mirer le sien : comme s’enamoure d’un miroir, la beauté, ; comme une eau fraîche épouse la terre brûlée.
Ses rêves, chaque soir, ramenaient la jeune Halide aux Portes de sable, et elle y voyait avancer un homme monté sur un cheval noir aux nobles caparaçons.   

Son horizon commençait à ses pieds
Et rien ne le limitait.
Sable et rêves conjuguaient
L’espoir d’Halide et les songes de sa jeunesse.

Lorsqu’elle fut, enfin, femme et devenue belle comme une grenade, son père lui présenta un homme : las, il était plus vieux que lui-même, emprunté de richesses, pour sûr. Mais surtout de poids. L’homme sentait le fumier de ses bêtes et le musc des troupeaux, il bavait gras en mangeant, riait fort et rotait en buvant.

Son rêve mourut à ses pieds.
Rien ne lui promettait plus d’ailleurs.
Larmes et désespoir inondaient
Pour cent raisons, le tendre visage d’Halide.

Alors passa par-là, Sevky, preux cavalier des Monts Aladaglar. Son allure chantait le courage et son nom, aussi. Il respirait l’amour et chantait la liberté, sa passion. Il croisa la belle Halide, éplorée au pied de la fontaine. Il lui tendit l’oreille, le cœur et la main.
Tant et si bien qu’Halide monta en croupe et partit avec lui.

Leur voyage commença à leurs pieds
Et rien ne le limiterait jamais, ni ici, ni ailleurs.
Le vent et ciel conjugueraient leurs rires
Et béniraient leur union.

Ils chevauchèrent toute une saison, vécurent heureux et libres sous le dais d’or du soleil et de bleu du ciel. Dans les rudes Monts de l’Anti-Taurus, ils parvinrent. Sevky était bien pauvre. Un cheval ne fait pas une fortune. Mais ils s’étaient rencontrés à ses pieds, s’étaient unis de même, avaient eu faim ensemble et à l’automne suivant, c’est encore là qu’ils périrent, serrés contre ses flancs chauds, enlacés.

Le père, les frères et cousins d’Halide, mêlés aux sbires du vieil homme gras, venaient de les rattraper. Ils avaient bu, les pleutres, pour se donner quelque courage, parlaient d’honneur à blanchir, criaient vengeance, hurlaient au meurtre nécessaire, oubliaient jusqu’à leur folie honteuse d’hommes devenus barbares, pour mieux perpétrer leur crime de lâches.

Les deux corps des amants embrassés reposèrent longtemps seuls, dans la plaine déserte, jusqu’à ce que ne poussent, pour leur faire un abri deux troncs pour un même bouleau.
Et, chaque hiver quand siffle le vent et que de coton emmitouflent les plateaux de la blanche Cilicie, j’entends s’élever ce chant d’infini silence :

L’horizon commence à leurs pieds
Et rien ne le limite jamais.
La neige et le ciel conjuguent
Leur si libre union ;
Rebelle Halide et preux Sevki,
En un seul arbre
 L’éternité embrasse à jamais la passion.










Le chemin de la brume


Il avait suivi le chemin de la brume vers un horizon disparu. Chacun de ses pas crissait, seul bruit pour lui rappeler le monde. Les flocons empressés de fondre ruisselaient sur son visage rougi de froid. Les pleurs sont de l’eau juste un peu plus salée.

Solitude blanche
quelques pas dans la neige
une indiscrétion

Où allait-il ainsi dans ce désert fantasmagorique ? Qui était-il ? Que fuyait-il, s’il fuyait ? Qu’allait-il donc rejoindre ? S’était-il égaré ? Était-il Elle ou Lui ?
Si les arbres pouvaient parler, ils nous diraient bien des rencontres. Mais ce soir, l’arbre est muet comme le sont les arbres.

Il offre à nos yeux
sur l’océan de brume
quelques traits au fusain


Ici, la terre s’est unie au ciel, tout se confond à tout et le géant immobile semble rêver d’envol. Le passant, arbre en mouvement, a disparu, laissant derrière lui sur le sol immaculé quelques empreintes que les flocons effaceront bientôt.

Ainsi va l’homme
quelques traces fugaces
au final, l’oubli.

©Adamante Donsimoni
LE CHAMP DU SOUFFLE