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HAIKU,TANKA, HAIBUN, TANKA-PROSE

 




 

Avant d’aborder la question du Haïbun, je vais tout d’abord vous parler du Tanka et du Haïku.


 

LE TANKA

 

Le Tanka, ce qui signifie court poème, est plus ancien que le haïku. Il fut et semble-t-il demeure la forme littéraire la plus appréciée des Japonais. 


        Selon les règles d’origine cette forme poétique se compose de 5 lignes :

- les trois premières lignes peuvent faire référence à une image naturelle, à une vision ; 

- les deux lignes qui suivent font état d’une réflexion d’un sentiment, d’une émotion, d’un vécu, d’un ressenti, mais il ne donne pas de réponse.


        La métrique du Tanka est de 5/7/5 syllabes pour la première partie (un haïku donc) 

et de deux lignes de 7 syllabes chacune pour la seconde, soit un total de 31 syllabes. 


        Les Tankas peuvent être écrits à plusieurs mains, les rengas ou renkus. Dans ce cas un Tanka relance l’autre et en fonction du nombre de participants change de nom. (Lien)

 


Il existait avant, de longs poèmes composés de tankas : les chôkas, forme qui semble-t-il fut abandonnée fin du VIIIème siècle pour laisser place aux tankas et haïkus. 


Mais, cela n’engage que moi, l’idée du chôka me semble intéressante, si l’on souhaite par exemple raconter une histoire, une fable, ou composer une chanson, une comptine. 

 

Dans ces cas-là, si la métrique est conservée (aide précieuse à la mise en musique), des rimes pourront alors s’inviter. Le résultat ne sera pas un chôka mais une création élaborée à partir d’une base solide. Je reste persuadée que l’acte de création doit, nourri du passé, adapter sa parole à l’instant présent. Tout change, rien ne demeure jamais, ce qui fut soutient ce qui est et ce qui sera. 


Je note que beaucoup d’auteurs de Tankas, Haïku et Haïbun ne respectent pas à la lettre toutes les règles édictées, beaucoup tendent à le faire, ce qui est louable. Il faut savoir que la maîtrise des règles permet une meilleure improvisation. S’il est toujours préférable d’écrire en respectant la forme lorsque l’on se prête à l’exercice pour faire ses gammes, il ne faut pas s’interdire parfois de dévier pour en faire tout autre chose, comme dans l’exemple cité plus haut.

 








LE HAÏKU


Le Haïku est né du Tanka, en France il est sans doute la forme la plus pratiquée et donc la plus prisée.


La métrique du Haïku est de 5/7/5 syllabes. Mais, souplesse de la règle, le haïku peut se décliner en trois lignes, voire deux seulement, à condition de compter les 17 syllabes requises. Toutefois il me semble préférable de favoriser le fond plutôt que la forme quand le résultat, après recherche, n’est pas satisfaisant.

Le Haïku peut être écrit à double lecture ce qui dans une expression aussi rapide est du grand art. 


Les sujets d’un haïku sont divers : observation de la nature, des saisons, expression d’une émotion, d’un sentiment, d’une réflexion sentimentale ou humoristique. 

 

La sobriété, l’évitement d’une construction réservée à la prose avec trop de verbes, d’article, d’adjectifs etc. sont de mise pour éviter toute lourdeur. 




photo Adamante

Un parfait exemple de légèreté et d’humour :


 

    première neige (4)

        un sacré trésor (5)

             ce vieux pot de chambre. (5) 

     Issa (1763-1828) « On se les gèle » – haïkus d’hiver 

                                                       Ed.  Moundarren


Comme vous pouvez le remarquer la métrique de ce haïku n’est pas de 17 syllabes mais de 14. Certes il s’agit là d’une traduction et l’on peut penser que le traducteur a opté pour le respect du fond plutôt que celui de la forme. Il a eu raison. Regardons cela (ceci n’est qu’un exemple il pourrait y avoir d’autres variables) :


La première strophe de 4 syllabes :  « Première neige »

aurait perdu de sa force avec l’ajout de l’article pour arriver à 5 :  

La première neige (5)

La seconde strophe : « un sacré trésor » (5)

Aurait perdu tout autant si le traducteur avait fait le choix par exemple  

de rajouter le verbe : C’est un sacré trésor  (6)

 

Au final nous aurions atteint 16 pieds/17 au lieu de 14 mais perdu en force :

 

  La première neige      première neige

     C’est un sacré trésor   un sacré trésor 

        ce vieux pot de chambre.  ce vieux pot de chambre. 


On gagne toujours à être moins démonstratif, à favoriser l’esquisse, afin de laisser parler l’image. On laisse ainsi toute sa liberté au lecteur. 


Dans ce poème d’Issa, pas d’article, pas de verbe, mais la force de la sobriété des images. 

La première qui évoque au lecteur le froid, mais aussi peut-être le renvoie à ses propres souvenirs de première neige, avec la première ligne ; puis ce sentiment de connaître la chance de ne pas avoir à sortir de chez soi pour assouvir ses besoins naturels, avec la seconde et la troisième ligne.

 

 

Dessin Adamante

 



    Qui ne rêve pas d’avoir écrit ce poème ?





Ce qui est commun au Tanka et au Haïku


    Que ce soit pour le Tanka ou le Haïku, donc pour le Haïbun ou Tanka-prose, les rimes ne sont pas admises, c’est une règle qui ne souffre pas de compromis.

 


Le piège du E


Vient se greffer la difficulté du E dans la prononciation française que je rappelle sommairement ici : Le E final muet ne se prononce pas. Si la phrase se termine par « plonge », plonge = 1 syllabe

Le E qui termine un mot au cœur de la phrase :

Se prononce devant une consonne :        « fai/re /tout /un /plat » = 5 syllabes

Ne se prononce pas devant une voyelle : « fai/r’un/ ha/ï/ku » = 5 syllabes



 

Dessin Adamante



 




HAIBUN & TANKA-PROSE

 



 

Le TANKA-PROSE 


        Voici quelques points que je trouve intéressants, précisés par Danièle Duteil, présidente de l’Association Francophone des Auteurs de Haïbun, lors du Festival international de tanka d’octobre 2015, et complétés par Patrick Simon : 

 « Le tanka prose remonte aux origines de la littérature japonaise. Après plus de dix siècles, on continue à en écrire. Il semble que prose et tanka soient allés de pair depuis toujours. Qui plus est, le tanka tenait une place majeure dans les échanges épistolaires entre deux personnes. Le tanka appelait donc une réponse. 


L’alliance de la prose et de la poésie se rencontre dans les contes et récits à poèmes (uta monogatari) et les notes journalières, ou journaux intimes (nikki). L’Ise monogatari (« Les contes d’Ise»), écrit sans doute au tout début du Xe siècle, comporte 143 anecdotes et contes entrecoupés de 209 waka. Mais, dans de nombreux textes anciens, la prose sert avant tout à annoter des poèmes qui constituent le cœur du texte. C’est le cas par exemple pour Le Journal de Tosa (« Tosa Nikki », de Ki No Tsurayuki, Xème siècle. Présentation et traduction René Sieffert, POF, 1987). 

Le Genji monogatari (« Dit du Genji ») constitue une œuvre maîtresse traversée de 800 waka. Attribuée à Murasaki Shikibu, elle narre les intrigues politico-amoureuses de la Cour (Traduction : René Sieffert, Publications Orientalistes de France-POF, 1999). 


Dans les « tanka-prose » contemporains, il n’est pas rare de lire des textes en anglais très courts, composés d’un paragraphe en prose succinct suivi ou précédé (plus souvent suivi semble-t-il) d’un seul tanka. Souvent, la longueur de nombreux tanka prose n’excède pas une demi-page. 

Dans la francophonie, à partir des textes publiés, nous pouvons voir que le tanka s’immisce presque dans la prose comme une narration dans la narration. Jouant parfois sa partition dans une autre dimension, il peut creuser un décalage spatio-temporel intéressant. 

Dans une prose au présent, le tanka, au passé ou au futur proche, déplace habilement la scène, créant des ponts entre l’instant et la scène vécus maintenant dans la prose, et ce qui fut ou ce qui bientôt adviendra. 

Le tanka prose, s’il finit par un tanka, invitera peut-être davantage à la réflexion ou à la rêverie au sortir du texte, par l’ouverture contenue dans ses deux dernières lignes. 

Une piste peu exploitée pour le moment est l’exploration du rythme 7-7 du tanka dans la prose. Les variations sur cette mesure pourraient constituer une manière de rappeler le lien étroit unissant la poésie au chant, tout en élargissant les voies de la création et de l’expressivité. 

Deux parutions récentes en France : Le radeau d’Héraclite, recueil de tanka prose de Jean Pierre Garcia-Aznar, aux Éditions D’un Jardin, et De Fougère en Libellule, recueil de haïbuns, de Monique Leroux Serres, aux éditions Pippa. Auxquelles il faut ajouter des « tanka-prose » parus dans la Revue du tanka francophone (dans les numéros 9, 12, 14, 15, 18, 20, 26), ainsi qu’une étude dans le numéro 27. »

Voici donc quelques éléments de réflexion.

 

 

Photo Nathalie Manaud ©



LE HAÏBUN


En français il y a peu d’écrits sur le sujet, ce qui en ressort c’est que le modèle de référence du Haïbun est « la sente étroite du bout du monde » récit très court, que l’on doit à Bashô, un des plus important poète Japonais. 

Voici ce que dit de lui Alain Walter qui a traduit ce texte sous le titre « l’étroit chemin du fond » aux éditions William Black & co, titre que l’on peut trouver en librairie. J’ai mis en italique ce qui me semblait important à retenir pour écrire un haïbun.


« Matsuo Bashô (1644-1694) est resté un des poètes les plus chers au cœur des Japonais qui tous peuvent réciter au moins un de ses tercets ou hokku (que l'on appellera haiku par la suite). 

Ce fils et frère de samouraï quitta très tôt le service des armes pour se consacrer à l'étude des littératures classiques du Japon et de la Chine et à la pratique du haikai, poésie enchaînée collective très populaire en son temps. 

Bien vite, il fit entendre une tonalité, un style, un esprit spécifique, et créa son école appelée le shômon.

Bashô, tout en conservant les sujets réalistes, le langage quotidien et l'humour du haikai, y transfuse l'exigence esthétique et la sensibilité de la poésie classique (waka, renga). Sa manière se caractérise notamment par son attention aux petites choses de la vie et à la profondeur qu'elles recèlent. 

Le poète consacra les dix dernières années de sa vie à voyager à travers le Japon pour donner des leçons, établir des cercles de disciples, mais aussi pour renouveler son inspiration et poursuivre sans concession la vérité du monde. Le voyage devint dès lors un pèlerinage et une ascèse mystique. 

De ces pérégrinations, Bashô tira plusieurs journaux poétiques dont le plus célèbre est L'Étroit Chemin du fond où il consigne et met en œuvre l'essentiel d'un périple à pied de cinq mois dans le nord du Japon, de temples en sanctuaires, de sites géographiques en lieux marqués par les tragédies de l'histoire, à travers un paysage sauvage, montagneux ou marin. Voyage au fin fond du pays, voyage au fond des choses et des êtres, vers le fond de la parole : quête à la fois physique et langagière du Sens et de la Réalité ultime(...) »


Le Haïbun mêle prose et haïku(s) c’est une sorte de carnet de voyage, que ce voyage soit réel ou imaginaire. Il expose et relate le vécu de l’instant, le ressenti. La prose exprime plutôt un cheminement, une pérégrination dans la réalité ou dans la pensée ou les deux.  Le haïku exprime la spontanéité de l’instant (présent ou passé), une sorte de flash qui vient en quelque sorte couronner, illuminer la prose. Il surprend aussi et ramène l’attention sur l’immédiateté de l’instant, souvent portée par une image forte. 


Je dirais que le Haïbun c’est l’art de la simplicité, de la concision qui convient aux choses de la nature, du quotidien ou du ressenti, ainsi que nous l’enseignent les poètes chinois.


            Un portrait de Fu Sheng, attribué à Wang Wei 

 

 

 

 

Voici, en exemple de cette simplicité dont je parle, une poésie de Wang Wei, (701-761) poète et peintre chinois que j'affectionne particulièrement.



Je ne résiste pas au plaisir de vous le partager :


« mon humble demeure se trouve près de l’embouchure de la rivière

de grands arbres ceinturent le village à l’écart

vaine visite, sur le chemin en pierres le carrosse repart

dans la maison de l’ermite personne pour ouvrir la porte

les barques des pêcheurs sont collées à la rive gelée

les feux des chasseurs brûlent dans la plaine froide

seuls, au-delà des nuages blancs,

une cloche lointaine et le cri nocturne des gibbons »  



Pour en revenir à lui, le Haïbun refuse la rime et la versification ainsi que toute forme de redondance ou de maniérisme.

Selon moi il exige un certain détachement de son auteur qui devient ainsi un chroniqueur sensé toucher son lecteur par la mise à distance de son émotion. Car c’est le lecteur qui doit vivre l’émotion. L’auteur, par la qualité de son détachement et la justesse de son ton, doit faire en sorte de la lui communiquer. Là c’est aussi la « metteur en scène, la prof de théâtre » qui s’exprime, car l’écriture est une sorte de mise en scène de nos visions, de nos émotions, de nos sentiments.

Dans le Haïbun, la prose est essentielle car elle est censée nous faire partager un cheminement d’idées, nous faire vivre les éventuels moments de rupture, (tant dans l’idée que dans le rythme). 

Enfin, je reste convaincue que le Haïbun gagnera à être ciselé car la concision nécessite une certaine recherche de l’épure, c’est cela qui suscitera l’émotion chez le lecteur en lui conservant les portes de son imaginaire grandes ouvertes. Dans le haïku le non-dit traverse le texte et lui donne son souffle.

S’il ne faut pas céder à la redondance, il ne faut pas non plus se satisfaire d’une écriture simpliste (du type liste de courses à la métrique impeccable). Pensée orientale oblige, nous sommes sur la voie du juste milieu…

Un sacré exercice ! Voire un exercice sacré.  

En effet, lorsque l’on puise au fond de soi l’écho de ce que nous livre la nature ou le rêve, nous touchons à une dimension du sacré.

 

 

  

           AMUSONS-NOUS DONC UN PEU !


     Je vous propose un petit moment de détente, un   exercice rapide nécessitant feuille et crayon.


Vous allez commencer à écrire quelques lignes   de prose,  au présent de l’indicatif, pour débuter un Haïbun.


Je vous suggère la situation suivante : 

 


Il fait froid, vous êtes assis dans votre fauteuil et vous voyagez mentalement dans le paysage qui s’offre à vous en regardant par la fenêtre de votre maison.  


Vous pouvez faire appel à un souvenir pour vous mettre dans l’ambiance, je vous laisse le temps d’imaginer. 


Une fois seulement vos lignes écrites vous pourrez continuer la lecture. 

 


PAUSE  


Photo ABC


 

Vos lignes sont écrites ? Continuons !

 

    Je vous propose maintenant de  lire à haute voix votre prose et de poursuivre en lisant à sa suite ce haïku de Gyodai :



une mouche

tourne autour de moi

réclusion hivernale

Gyodai « On se les gèle » Ed Moundarren 


Vous serez sans doute surpris, d’autant que vous n’avez pas écrit ce haïku, mais logiquement vos quelques lignes et le haïku devraient être en accord avec la situation proposée.



Pour conclure :


Le nombre de Haïkus n’a aucune influence sur la valeur d’un Haïbun. 

 

Il est préférable d’en mettre moins afin que la prose soit vraiment sublimée. Un unique Haïku clôturant la prose peut être suffisant s’il a les qualités explicitées plus haut, s’il a la puissance de surprendre, d’éclairer, d’interpeller le lecteur.


Cet article vous semblera peut-être un peu long, j’ai fait en sorte de le documenter du mieux possible afin de faire le tour de ces quelques formes d’expressions littéraires qui se complètent, s’interpénètrent et nous passionnent. J’aurais aimé qu’il le soit plus. Il est perfectible.


Dans ce domaine de connaissance, nous ne pouvons progresser que par la lecture et l’analyse des grands maîtres du genre -tout en tenant compte du fait que nous en lisons des traductions-et par les écrits des amateurs éclairés qui en témoignent, dont certains que j’ai cité ici. Vous pourrez suivre leurs liens.


Adamante




 

Quelques liens pour connaître mieux les poètes cités dans cet article :


Issa :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Kobayashi_Issa

Bashô : https://fr.wikipedia.org/wiki/Matsuo_Bash%C5%8D    

Wang Wei : https://fr.wikipedia.org/wiki/Wang_Wei

Gyodai : je n’ai trouvé aucune information sur le web




 

2 commentaires:

  1. Bonjour Adamante,

    Ton article est peut-être long mais je l'ai lu totalement. Il très intéressant et clair. J'aime particulièrement écrire du haïbun. Un seul haïku? D'accord. le plus difficile sera de le soigner aux petits oignons! :D

    Merci Adamante et à bientôt

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  2. Ton article est très intéressant et le petit exercice que tu propose particulièrement explicite.
    Merci Adamante

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Merci de vos commentaires, ici et sur nos blogs respectifs. Adamante