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jeudi 22 mars 2018

Des chaussures pour mémoire - P105



L'herbier, tel que je le rêve, est une œuvre commune sur une page commune, pas une source d'idées pour des écriture individuelles, que le nom de l'herbier soit ou non référencé, car cela nie la notion du partage.
Oui, l'herbier c'est avant tout le partage, un livre virtuel où sont présents plusieurs auteurs. 
Alors merci à celles et ceux qui partagent cette vision, ils sont les bienvenus ici.    AD




Doris Salcedo  Atrabiliarios, 1992-2004, chaussures, mur, bois, fibres animales
Musée d’Art contemporain de Chicago



 
Fragilité d’une fausse douceur passagère derrière un non tissé qui fondra comme neige au soleil
Périssable être humain aux chaussures délicates
Femme meurtrie par la vie chancelante sur ses escarpins blancs
Existence vouée ou livrée au hasard ?
Horreur envers tous ces hommes immunisés contre la fragilité humaine
Ils tuent pendant que d’autres aspirent juste
Comment conserver quelque part un coin d’incertitude où seraient rangées nos fragilités et notre impuissance à dire, à voir, à entendre ?
Doit-on coucher cette fragilité dans une boîte en bois, cercueil éternel ?
Son couvercle ne serait qu’intissé hydrosoluble qui disparaîtrait sous la rivière de nos larmes 
Linceul éphémère cloué sur le cercueil de notre humanité avec des milliers d’akènes de pissenlit 
Ces pissenlits que la femme aux escarpins, chancelante, suce je ne sais où, par les racines. 





Escarpins égarés
une femme a souffert
reste la douceur
d'une exquise féminité
quand la mort est passée











Paysages de chaussures

Petite, sur les photos, je portais des bottes-chaussons qui ressemblaient  en couleurs plus vives 
A celles que portaient ma grand-mère maternelle; mes parents achetaient mes chaussures
Dans un petit magasin où on prenait tout son temps et le marchand m'offrait un ballon orange.

Quand je regarde les pieds des tout petits (et des plus grands), je ne vois que des marques
A leurs pieds mais souvent bien peu adaptés à une journée neigeuse, pluvieuse ou froide.
Certains collégiens gardent leurs "après-ski" quand la neige a fondu: inadaptation et mode.

Au collège et lycée, j'étais chez les sœurs avec uniforme, chaussettes blanches et blouse
Alors week-end et vacances étaient enfin l'occasion de s'habiller à la mode à l'adolescence.
Je rêvais d'un pantalon en velours moulant mais ma mère trouvait que j'étais trop grosse
Alors que je n'avais que des formes; les escarpins vernis noirs avec petit talon en pointe

Et nœud vert ont été plus faciles à obtenir; le pantalon était grenat et j'étais heureuse.
J'ai aimé porter des talons de vamp avec jupe et bas pour me sentir femme et désirable
Mais comme je me suis souvent senti mal dans mes pompes au figuré et au propre
Je portais plutôt des petits talons  car ma grande taille me faisait suffisamment  cible

De moqueries; j'aime mettre mes pieds à l'air même si certains trouvent ça moche.
Comme je me suis régalé pendant trois ans au Maroc en portant des tongs jusqu'en novembre
Parfois et depuis avril souvent: je les payais trois dirhams et six sous, couleurs vives
Je changeais selon mes tenues; prêtes à plonger mes pieds dans l'Atlantique 

18 mars 2018




 









Où es-tu ?


Le lendemain elle allait fêter ses cinq ans, sa mère n’avait pas encore trente ans.

Bruit de bottes
et pas dans l’escalier
sans au revoir

Au retour de l’école, il n’y a plus personne :
- Maman, où es-tu ?

Il ne lui reste d’elle qu’un vague souvenir d’une paire de chaussures qu’elle avait, comme tant d’autres petites filles, un jour, empruntée pour esquisser des pas de dame, au milieu du séjour, en essayant de ne pas se tordre les pieds.

Sa mère :

Tenant debout
en escarpins
toujours
ultime signature
de sa féminité

Au fond de son cœur une éternelle question :
- Maman, où es-tu ?













Cendrillon en fuite
abandonne sa chaussure
qui la retrouvera ?
Privée de souliers
Malmenée par les vents
Elle chevauche les nuages


Pieds nus, vulnérable
elle  a  perdu  sa  liberté
















Quand les souliers parlent ...




Fermer les yeux, 
les mettre à leurs pieds ...
Que sont ces femmes devenues ?

Comme il trottine dans ma tête
le claquement de leurs talons !

Dans un voisin pays
les folles de mai
marchent silencieuses
en talons plats.
Inlassablement.

Au grand bal tragique
de l'Histoire sans queue ni tête,
la vie vaut si peu.













J’ai longtemps vu pendre ses chaussons usés, noués au clou sur la porte de sa chambre : elle les avait tant portés.

Tulle cousu de points de suture :
Les ballerines, si fines, cachent
Moins le beau du ballet, le bonheur des artistes,
Que les souffrances endurées des danseuses !

Et chaque fois que s’ouvrait la porte, le son du bout raide des pointes, contre le panneau de bois, claquant !

Tulle cousu de points de suture :
Les ballerines, si fines, cachent
Moins le beau du ballet, le bonheur des artistes,
Que les souffrances endurées des danseuses !

Que de ballets dansés, grâce, expression et harmonie, qui manquent de dire que l’art de la danse, ce vampire, se nourrit du sang versé des ballerines.

Tulle cousu de points de suture :
Les ballerines, si fines, cachent
Moins le beau du ballet, le bonheur des artistes,
Que les souffrances endurées des danseuses !


http://decoeuretdencre.blogspot.fr/



 
 
Des chaussures pour mémoire

Chaussures exposées dans une galerie d’art,  façon organdi et papier de soie.
Un flot de silence s’élève, brise l’anonymat,
Le cri minéral de  l’absence rebondit sur le blanc des murs.

Sur la pointe, comme les chaussons d’une étoile.
Sur la pointe, comme pour se hisser vers les lumières de la nuit, immense.
Sur la pointe, pour ne pas oublier et offrir au regard un soupçon de grâce bordé d’épines,
Des escarpins se racontent.

Combien de Cendrillons ont perdu leurs souliers ?
Combien de Cendrillons  ont perdu leur visage, lacéré, un jour si différent des autres et qui n’aurait pas dû ?
Combien de  Cendrillons pour combien de souliers ?
Combien de souliers pour savoir qui ? Pour briser l’attente, insupportable ?

La terre a bu le sang,
La terre boit toujours le sang.
La terre, comme toutes les mères dans la nature lèche les plaies de ses petits,
Quand le cœur se brise en un dernier hoquet et que le corps vaincu s’effondre,
Digue rompue,  avec le sang la vie s’enfuit.
Comme il est lourd le ciel, du premier au dernier rayon du soleil, sur la terre en deuil.

Ici sur la pointe, combien de souliers ?
Ailleurs sur la terre ou bien dedans, combien de Cendrillons ?














15 commentaires:

  1. Ce sont de très belles participations.
    Merci à tous pour cette page.
    Passe une douce journée.

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    1. Toi aussi Quichottine, merci de tes passages. Tu nous es chère.

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  2. ... Sur la pointe... c'est très beau Adamante, comme les autres belles participations

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    1. Encore une belle page qui nous lie et qui n'existe que grâce à toi, à tous les autres venant écrire ici ponctuellement ou régulièrement. Belle journée, Marine.

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  3. Une exposition de textes émouvants de conviction s'offre ici à notre lecture dans cette galerie d'art que nous nommons Herbier de poésies

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    1. Oh! Galerie d'art! Cela mérite un immense sourire. C'est vrai, il y a une évolution et je peux remercier Artips qui m'a amenée à parler un peu plus des peintres. J'apprend beaucoup en faisant ces recherches, et après, en découvrant votre regard. C'est très riche.

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  4. Le souffle de l'émotion avançant sur la pointe des pieds, pour découvrir un à un le ressenti de chacun... La beauté de la danse partageant la douleur des épines.

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    1. Beauté de la danse, douleur des épines... des cœurs qui souffrent.
      Merci, Annick de ces mots si justes.

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  5. encore une page émouvante et tragique Oui combien de femmes victimes des guerres, des coups, de l'indifférence ?

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    1. L'art nous montre la beauté, ici, où l'esthétique est tellement pure, toute la dimension de l'horreur et de la souffrance.
      Belle journée, Jeanne.

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  6. A la poésie des unes, répond celle des autres. Chaque page est un souffle et à chaque souffle, il faut une fenêtre, une dynamique commune.
    Il y a une poésie réductionniste (qui réduit tout à un cadre limité, à une forme stéréotypée, à une pensée, une sensibilité qui fait mode et se veut unique unique) et une autre amplificatrice ( qui élargit, qui démultiplie, qui alimente par interaction...). il me semble que l'Herbier de Poésies offre un terreau où peuvent s'exprimer toutes les envies de grandir, de se trouver au travers des mots, des souvenirs et émergences, mais où s'exprime aussi un ensemble, un collectif, un souffle commun que la poésie d'Adamante, placée à la fin, épanouit en s' étant (tout en restant originale et personnelle, nourrie des sensibilités thèmes de chacun, et par le biais d'une mise en valeur de la page. A ce cadre singulier,je reconnais bien des mérites.

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    1. Tu as dit, bien mieux que moi, ce qu'est la poésie du partage. Pas de miroir, mon beau miroir ici. Même si le désir d'être apprécié est présent. Nous avons tous besoin d'amour et l'amour sans partage n'est en effet que réductionnisme qui en isolant un auteur le rend très malheureux.
      Alirs, profitons de notre bonheur.
      Merci, Serge. À très bientôt.

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Merci de vos commentaires, ici et sur nos blogs respectifs. Adamante