"Au bal" de Berthe Morisot - musée Marmottan-Monet
Berthe fait tapisserie ce soir.Chez elle, la beauté n’a rien du frivole,La retenue, la pudeur, rien de prude.Il y a dans sa pose quelque chose de plein,Quelque chose d’une maîtrise, de quelque force secrète .Femme de silence, et femme d’écoute,Elle est femme d’expérience, être de vécu.Elle a le regard soucieux de celles qui voientPlus loin que la frivolité de l’éphémère,Elle a le souci de l’ordre du monde,Et puis de ceux qui l’entourent.Son apprêt n’a rien d’une surcharge,Juste une élégance de l’allure qui parle de soin,Qui parle d’attention à soi, et de douceur...Pour mieux s’offrir le droit à cette rêverieQue masquerait presque cet éventail.Qu’elle s’en protège, qu’elle s’y cache ?Non, c’est un filtre pour que le mondeNe lui vienne pas trop vite - et fort - la blesser.C’est une autorisation à regarder autrement la vie.
Berthe...
Au bal
Faire tapisserie
C'est affaire de
laideron...
Berthe est jolie fille,
A marier...
On la remarquera !
On...
C'est le fils du banquier
Du notaire
De monsieur le Comte,
Ces on qui en ont
Dorés sur tranche
Qu'importe le profil ingrat...
Parents veillent au grain,
Et sur leur graine... !
Pauvre demoiselle Morisot
Ah si mère savait... !
Elle est amoureuse
Du jeune curé
Beau tel un dieu...
Berthe est de toutes ses
messes,
Ca fait jaser les grenouilles
Qui elles ne sont ni aveugles
Ni avares en sucre cassé !
M'accordez-vous cette danse
Mademoiselle...
Mademoiselle ??
Perdue dans ses pensées
Elle laisse filer une
occasion...
Une occasion, de faire son
malheur,
Elle en aime aucun, fils de...
Carnet de bal vide
les yeux de la belle valsent
derrière un éventail
Printemps et renouveau
Arbres en bourgeons
Jeune fille en fleur
Ce soir ira au bal
Danser la valse
Au bras d’un prince
Prince charmant
Qu’elle attendra
Assise sagement
Sans chaperon
Moue et déception
Demoiselle mise en pot
Attendra le prochain bal
Rêvant secrètement
De sourires furtifs
De frissons amoureux
Et de la corde au cou
D’un beau collier de femme
Refus et dérision
Brisant la potiche
Seule au milieu de la piste
Au bras d’un cavalier imaginaire
Elle valse, valse, valse
À en perdre haleine
Regards courroucés
Des douairières
Fini le carnet de bal
Se prenant par la main
Elle tracera son destin
Elle a deux roses dans ses
cheveux
Noirs de jais la belle oiselle
Avec soin elle a revêtu une
robe vaporeuse
Elle affiche un air très agacé
Elle agite un éventail
coloré...
Elle comptait sur son cavalier
préféré
Las, une accorte gourgandine
S'en est emparé
Je sens se dit-elle que je vais
passer
Une fort mauvaise soirée...
Tenue de fête, blanche et fraîche
Regard lointain dans l'à venir
Tristesse
Encore timide dans sa robe
vaporeuse
Elle n'ose regarder
Le visage dissimulé
Elle tient son éventail tel un
jeu de cartes
Un accroche-cœur
peint de scènes galantes
Elle hésite
Qu'a t- elle vu qui la rend
sérieuse
Entend-elle les conseils de sa
mère
Son expression volontaire et
sérieuse occulte ses traits encore juvéniles
Elle sait
qu'à ce bal que se joue son
destin
Attrapées par distraction, la voix de Guillaume
Gallienne dans le poste de radio dans "ça n'peut pas faire de mal"*,
celle de Dominique Blanc lisant la première phrase de la dernière page du livre
de Annie Ernaux Les années (à partir de la minute 43'00) :
"Le petit bal de Bazoches-sur-Hoesne avec ses
autotamponneuses"
Grande plongée dans ces soirs de fête où j'allais à
ce bal jeunette, petite dernière chaperonnée gentiment par mes aînées et mes
aînés.
Après la retraite aux flambeaux et le feu d'artifice.
Avant les heures de la nuit, vers trois ou quatre
heures, quand les danseurs cédaient la place aux bandes et aux risques de
bagarres.
De trop rares occasions d'entendre maman raconter ses
bals du Trocadéro, les recommandations de Mémé Louise, mon étonnement de la
grande liberté dont elle disposait au même âge que le mien dans les années
1925.
Son carnet de bal qui rendait concret mes lectures
romanesques, longtemps précieusement archivé à l'abri de la jalousie de mon
père supportant mal qu'elle ait eu une vie sentimentale avant lui. En tout bien
tout honneur précisait-elle les yeux brillants.
Un carnet où elle notait la qualité de danseur de ses
cavaliers, où un nom exotique revenait souvent. Il dansait si bien ...
Collision de deux mémoires, intrusion d'un grand
livre d'écrivain dans le souvenir vrai de mon adolescence ...
Pour "sauver le temps, le mien, celui des
autres" (Annie Ernaux dans l'entretien en lien à l'INA)
Au bal du "conte
moi fleurette"
Au bal du "conte
moi fleurette"
elle semble sage la
dame
et pourtant moi je la
sens coquine!
Pas chassés, pas de
côté
ronds de jambe et
courbettes
œillades et badinage
émoustillent ses
sens.
Est-elle
indifférente, jalouse, excitée ou dédaigneuse?
Regardez-la
bien, la belle brunette
avec son instrument
de séduction subtil mais quelque peu provocateur:
son éventail.
Dans ce langage codé
que lui fait-elle dire ?
Elle se couvre
l'oreille gauche avec son éventail ouvert !
Au soupirant du
jour en catimini elle dit :
"Ne révèle à
personne notre secret"
Mais son secret, quel
est-il ?
Je me plais à croire
que sur
son éventail, des cartes à jouer sont dessinées
et qu'elle
montre à l'Homme combien le jeu lui plaît !
Car au jeu de l'amour
et du hasard, elle se sait reine,
l'éventail n'est-il
pas, comme le plaisir,
synonyme
d'imagination féminine ?
Un long moment de solitude
Oh la! la! Ce qu’il fait chaud!
Où est-il passé? Je meurs de soif! Il en avait soi-disant pour une grosse
minute… gros soupir… Tiens, elle est là celle-là? Vraiment, on accepte
n’importe qui dans ce bal.
«Oh, bonjour Mlle Germaine, je ne
vous avais pas vue. (tu parles!) Il faut dire qu’avec tout ce monde n’est-ce pas…
Vous êtes très en beauté ce soir (on dirait un gros sac rose et vert. Beurk!).
Vous êtes venue avec votre frère? (qui est bête à manger du foin soit dit en
passant) très bien, très bien. Moi? Oh non, je ne suis pas seule. Jean-Charles
de Méricourt est mon cavalier. Il est allé chercher de quoi nous rafraîchir.
Oui, merci. Très aimable. Bonne soirée à vous également… »
Ouf! Bon débarras. Quel pot de
colle! … gros soupir exaspéré… Cette chaleur va me liquéfier. Je n’en peux
plus. Mais où est-il donc passé? Et ces gants qui n’arrangent rien. C’est
peut-être le signe que l’on est une dame de qualité mais question confort, tu
repasseras. Voilà l ’orchestre qui joue notre valse à présent. C’est
insupportable à la fin! Ai-je une tête à tenir la chandelle? Ah, il va
m'entendre. Doux Jésus, le vicomte de Trinqueville. Pourvu qu’il ne me voit
pas… Aïe! aïe, il va se retourner... .
« Chérie, navrée pour le retard
mais il y avait foule au buffet. Voici votre limonade bien fraîche. Vous ne
m’en voulez pas trop?»
« Mais pas du tout
Jean-Charles. On ne s’ennuie pas une seconde. ( grrrrr) Ce bal est fort
divertissant. ( mis à part les parvenus et autres vieux fossiles)»
« Vous êtes un amour ma très
tendre. Venez, je crois que c’est notre valse…»
Trali la la la …la la …..
Ici sans être là
Derrière mon éventail
En tarot de Marseille
J’écoute.
Qui distribuera les cartes ce
soir ?
Quelle lame sortira ?
Quel avenir se dessine
Sur l’horizon qui gronde ?
Regard au loin
Derrière les apparences
Par-delà les mondanités
J’observe un autre paysage
Caché
Jeu des archets
Quelques notes
Quelques frottements de tissus
De pieds glissant sur le parquet
Bruissements du bal
Compliments et murmures
indistincts
Sourires gênés
Quand une main se fait pressante
J’observe sans voir
L’infini m’emporte
Je suis ici sans être là
Assise, dans cette robe de
lumière,
Qui voyez-vous ?
Qui croyez-vous donc voir ?
Le coin des retardataires
Des roses blanches
pour un regard noir
et l'éventail déplie les songes
Tristesse ou mélancolie
les fragments solitaires
se noient
dans la musique du bal
©Balaline