Translate

vendredi 13 juillet 2018

Page 116



Amertume
Brouille en brouillard
Le soleil boude

Les vagues ondulent
Et de son âme malade
Le roc couvert d’algues
Laisse couler
Au bord de sa mémoire
Le sillon bleu
D’une larme de mer

Silhouette
Dans la brume
Jardinier des côtes
Statue des vents
suppliant Triton
De dompter
L’insouciance humaine
Et la colère marine

Au loin se perd
Le son plaintif
D’une corne de brume








Le conte du soleil perdu


Le soleil pleure et la lune rit
Mon petit doigt sait bien tout ça
Le soir s'assombrit sur la terre
L'indigo mange le blanc
Le gris sous son masque sourit
Le conte que tu me racontes
N'a pas de tête, n'a pas de sens
Dans sa chaumière le vieux se meurt
Personne ne veut écouter son mal
Sa solitude amère
Sur les mers des jeunes se noient
La vague les enfouit dans le sable
Les portes se ferment
Le soleil a été inventé pour éclairer
Quand mes yeux se ferment
Le noir l'emporte
Je n'y peux rien
Et toi non plus
C'est le conte du soleil perdu.





 

Le jardinier pleure
son jardin essoré de vent
ses salades grêlées 

Il ne devrait pas gémir
l'avenir toujours fuyant

Après les inondations de janvier, la neige de février, la morsure du gel de mars, il plonge loin dans ses pensées, se rappelle ses cours d'histoire.

L'humble jardinier
songe à la pensée sauvage*
cueillant sans piller

ne chassant que pour nourrir
une tribu affamée

Le soleil précoce d'avril, la pluie et le froid de mai, avant les orages ont fait place à la sécheresse, à la chaleur harassante.

Une planche de carottes
s'ébroue et se rafraîchit
aux gouttes d'arrosoir

les petits pois rabougris
ont séché sur les tuteurs

Le locataire des lieux renoue avec les sagesses millénaires, acteur de sa vie certes, à sa juste mesure, dans l'immensité des mondes. 

©Jeanne Fadosi 
 
* allusion à une citation de Prévert
« Le vrai jardinier se découvre devant la pensée sauvage. »
  Jacques Prévert, Fatras, 1966,
  Adonides, 1972,1975


 

Les larmes du jardinier

Un matin, il y a de ça fort longtemps, un jardinier avait brûlé les herbes de son vieux jardin, il avait décidé de le refaire, plus beau, plus harmonieux, afin d’y finir ses jours.  Il ne restait plus que de la cendre sur la terre.
Satisfait de son travail, il s’était mis à réfléchir devant cette étendue vierge et prometteuse.
Quel aspect aurait donc le nouveau jardin qu’il allait planter là ? Il ferma les yeux et se mit à rêver.
Il échafauda des plans, modifiant à l’envi dans son rêve, le parcours d’une allée, l’emplacement d’une tonnelle où goûter l’ombre l’été, celui d’un bassin où nageraient des poissons plus merveilleux les uns que les autres et où viendraient boire les oiseaux…
Il souriait, s’imaginant se promener dans ce parc enchanteur et changeant sans cesse la disposition des plans pour atteindre la perfection.

Mais pendant qu’il rêvait, pendant qu’il faisait et défaisait ses plans, les ronces, toujours promptes à envahir les espaces abandonnés, proliférèrent tant et tant qu’on ne vit plus un seul espace de terre vierge.

Un jour, en sortant de son rêve, car il faut bien que les rêves aient une fin, le jardinier découvrit son jardin mangé par les ronces et les mauvaises herbes.
Éploré devant un tel malheur, il se mit à gémir, il avait fait tout ce travail pour rien, pour avoir pire qu’avant. Il avait détruit un beau jardin et l’avait offert en cadeau aux ronces.
Alors il se mit à le regretter son vieux jardin imparfait. S’il n’avait pas été pris de cette folie de détruire, il aurait pu maintenant se reposer à l’ombre des forsythias, il aurait pu écouter chanter les oiseaux dans un décor enchanteur et profiter de ce lieu pour y reposer sa vieillesse… Car il avait beaucoup vieilli. Les rêves, ça prend du temps si l’on n’y prend garde.
Ses larmes se mirent à couler, à couler et plus elles coulaient, plus son vieux jardin lui paraissait plus beau et plus il en avait de regret. Il fut pris de désespoir devant tant de beautés perdues, ses larmes nourrissaient ses larmes, elles étaient intarissables. Elles ruisselaient sur la terre et plus elles ruisselaient plus le roncier assoiffé proliférait. L’espace qu’il occupait devint impraticable, c’était une forêt plus impénétrable que celle qui entourait le château de la Belle au bois dormant. 
De ruisseau, ses larmes devinrent un fleuve, le fleuve à son tour devint une mer, une mer salée comme les larmes et le jardinier désespéré, affaibli, un soir de pleine lune, fut emporté par une vague.
Jamais personne ne le revit, il s’était sans doute noyé dans son chagrin. 

Voilà pourquoi, quand on raconte son histoire, comme je vous la raconte maintenant, à la veillée, à l’heure où les ombres dansent menaçantes sur les murs, on conseille à ceux qui écoutent et qui rêvent de toujours garder un œil ouvert.

Que ce conte vous fasse un heureux jour.
©Adamante Donsimoni

Là-bas c'est avec les illustrations


            Tiré de  "Comment fut guéri le soleil et autres contes"
             (sacem/sacd)

8 commentaires:

  1. " Le jour où Franklin mangea le soleil, personne ne s'aperçut de rien.
    De toutes façons, personne ne s'aperçoit jamais de rien. Personne, c'est les grands, les tout raides , les adultes, les gendarmes , et même les voleurs, tous ceux qui travaillent et même ceux qui ne travaillent pas, ça fait du monde, personne , ça fait beaucoup de gens , personne . Donc, personne ne s'aperçut de rien, à part les enfants.
    Franklin était un enfant.
    Les enfants sont des gens qui ne ressemblent à personne.
    La suite Là-bas : http://croukougnouche.blogspot.com/2010/10/le-jour-ou-franklin-mangea-le-soleil.html
    Saint Montan, en Basse Ardèche, c'est la région où j'ai grandi .........
    Bonne journée à tous !

    RépondreSupprimer
  2. De bien belles histoires...
    me pardonnerez-vous d'avoir oublié le rendez-vous?
    à trop rêver sans garder un oeil vraiment ouvert le temps est passé si prestement que je n'ai pas vu arriver le moment.

    RépondreSupprimer
  3. pour une fois que je n'ai pas programmé sur mon blog dès ce matin. Voilà qui est rattrapé.
    J'aime ces confrontations diverses qui élargissent le champ des imaginaires et touchent du doigt des mots la réalité

    RépondreSupprimer
  4. Sur les chemins des jardiniers j'ai lu vos mots avec attention, et espère que les jardiniers d'aujourd'hui auront tous entendus les divers messages qui leur sont, ici, adressés...
    Poésie, ou conte, nos sensibilités se sont exprimées face au vaste jardin qu'il nous faut jour après jour cultiver...

    RépondreSupprimer
  5. Une bien belle page ! Merci à vous ....
    Amis de l'Herbier, connaissez-vous la conteuse Clarissa Pinkola Estès ? et son Oncle, LE JARDINIER DE L'EDEN ? Un autre Jardinier qui nous en apprend beaucoup aussi sur la Vie ! Cette Femmme , qui court avec les loups, pratique avec bonheur la 'politique de la terre brûlée' .....

    RépondreSupprimer
  6. Toujours aussi beau... merci à tous les brins de l'Herbier.
    Passe une douce journée.

    RépondreSupprimer
  7. IL est beau ton conte de ce jardinier insatisfait, comme quoi même imparfait mieux vaut se contenter de son jardin dans la vie...

    RépondreSupprimer
  8. Bonjour Adamante,

    Toujours un grand plaisir que de venir ici. Les pages sont si belles et les rencontres si réjouissantes.
    .
    Il pleure
    Il pleure tout le sel manquant à sa vie
    Vie sans rire ni sourire

    Il pleure
    Il pleure sur les vagues de larmes
    Envahissant son âme

    Il pleure
    Il pleure jusqu'à plus soif
    Sur les écueils noyés
    Où se brise son présent.
    .

    Voilà, à chaud, ce que m'inspire cette œuvre

    Bon été à toi Adamante

    RépondreSupprimer

Merci de vos commentaires, ici et sur nos blogs respectifs. Adamante