"Le Jardinier du ciel" ou "Le Grand Maître du Quatre" (conte de
printemps), m'a été inspiré par un dessin de Jamadrou. Vous vous en souvenez, c'était ici.
Il m'a semblé qu'aujourd'hui serait un jour parfait pour lui faire un clin d'œil et répondre à sa page du jour, parce qu'aujourd'hui encore, le ciel est tellement gris qu'Adrien, le jardinier de mon conte, aurait encore fort à faire...
"Le
Jardinier du ciel" ou "Grand
Maître du Quatre" (conte de printemps)
Au début du
printemps, chez nous, en France, il arrive que le ciel reste gris comme il peut
l’être parfois l’hiver. L’hiver et le printemps se disputent la place, le
premier a du mal à partir et le second à s’installer. Quand cela se produit, le
soleil qui déteste les disputes refuse de quitter son grand lit à baldaquin.
Pour avoir la paix, il tire ses épais rideaux de nuages moutonneux et il
s’endort.
Mais la
pluie se met à tomber, elle sait que la nature a besoin d’elle pour faire
germer la vie et pousser les plantes. Elle ne veut pas être en retard. Alors
elle zèbre l’espace de ses flèches humides. Mais comme il n’y a pas de soleil,
elle est toute glacée. En la recevant les petites pousses hésitent à sortir de
terre, elles frissonnent, il ne fait pas assez chaud pour quitter
définitivement la graine.
Les Hommes
eux aussi ont envie de bouger, de sortir des maisons où ils se sont calfeutrés
durant la saison froide. Ils commencent à déprimer. Leurs pensées deviennent
toutes molles, toutes grises par trop d’ennui et manque de lumière.
Fort
heureusement il existe un être capable de régler le problème, de mettre un peu
d’ordre dans tout ça. C’est
Adrien, le jardinier, le Grand Maître du Quatre. Quatre signifiant ici
vous l’aurez compris les quatre saisons.
Il sort courageusement son rouleau à dessiner le printemps, à effacer la
tristesse, à illuminer le ciel, son grand rouleau magique avec un manche taillé
dans un éclair d’Août.
Il enfile
sa salopette de chaman, celle du renouveau de la nature. Mais il en a trois
autres, pour l’été, l’automne et l’hiver. Elles sont suspendues à un clou, dans
l’abri de jardin où il entrepose ses outils.
Il
retrousse ses manches et se met à l’ouvrage.
Il écrit
sur un pan du ciel une lettre de réclamation au Soleil, car le Soleil doit
intervenir pour que le vieil hiver laisse place au jeune printemps.
Il trempe
son rouleau de mousse dans la sève et trace un premier chemin vert orné de
jonquilles, de fleurs de pissenlit, de boutons d’or, de pâquerettes et de
violettes. Puis il en trace un deuxième, un troisième, un quatrième… Tous
serpentent, ondulent comme l’eau dans le lit de la rivière. Le Soleil aime les
chemins qui ondoient, il n’aime pas les chemins droits qui vont trop vite et
vous empêchent de rêver. Adrien le sait, il s’applique et trace avec amour sa
revendication de lumière. Dessiner un chemin droit serait une énorme, une
impardonnable faute d’orthographe, mais aucun risque, Adrien est un expert. C’est
pour cela qu’il est devenu le Grand Maître du Quatre, le grand faiseur
d’espoir, le grand maître des cérémonies. Il connaît le protocole sur le bout
des doigts et il a l’oreille du Ciel, il sait y faire avec la Terre, avec la
Lune et avec le Soleil.
Il a
écrit :
« Réveille-toi gros paresseux,
étire-toi, ouvre les yeux
Penche-toi vers la Terre,
Regarde, écoute la chanson des
fleurs
Aïe ! Aïe ! Aïe !
Il fait triste
Aïe ! Aïe ! Aïe !
Il fait gris
Aïe ! Aïe ! Aïe !
Ce qu’il fait froid !
Les abeilles sont enrhumées
Elles éternuent, elles sont
prostrées
Les abeilles sont enrhumées
Elles ne peuvent butiner
Aïe ! Aïe ! Aïe !
Il fait triste
Aïe ! Aïe ! Aïe !
Il fait gris
Aïe ! Aïe ! Aïe !
Ce qu’il fait froid !
« Réveille-toi gros paresseux,
étire-toi, ouvre les yeux
Penche-toi vers la Terre,
Regarde, écoute la chanson des
fleurs. »
Le
message d’Adrien, tout en courbes et en rondeurs, a réveillé le Soleil. Il se
lève du bon pied ce qui signifie qu’il est de bonne humeur. Il s’étire, bâille.
Son énorme souffle, plein de braises et de lumière, disperse les nuages. Enfin
il rayonne et, comme il fait trop chaud pour lui, l’hiver accepte de partir.
Aussitôt le
printemps s’installe. Aussitôt les arbres, les fleurs, les herbes, tout ce qui
pousse part à l’assaut du ciel. Les sources, les oiseaux, les papillons, tout
ce qui coule, tout ce qui vole se met à chanter et, s’élançant hors de la
ruche, les abeilles grisées par les parfums se mettent à bourdonner la
chanson du miel qui parle de miel, de pollen et de soleil.
Adrien
sourit, il aime particulièrement les abeilles, il les appelle « les
petites fées du printemps».
Dorées
comme le soleil, les petites fées d’Adrien sont les gardiennes de la vie,
l’espoir des fleurs, l'espérance du monde car sans elles il n’y aurait aucune
vie possible sur la Terre. Il n’y a que les industriels trop centrés sur leurs
profits et les politiques qui craignent de leur déplaire pour l’ignorer et
cracher sur la terre les pesticides qui tuent les abeilles.
Un
printemps sans abeilles ce n’est pas un printemps, mais maintenant qu’elles
sont là, que les pesticides ne les ont pas encore toutes détruites, le travail
d’Adrien est terminé.
Satisfait,
il range son matériel puis s’en va se reposer un peu dans son grand jardin
lumineux. Il s’allonge dans l’herbe. Comme c’est agréable, comme il est doux le
soleil du printemps !
Adrien est
heureux, son métier est vraiment le plus beau métier du monde.
On le
retrouvera peut-être au début de l'été qui sait, il y a tant à faire chaque
saison.
©Adamante (sacem)